Backgound

Une pénurie qui pique : la moutarde

July 1, 2022
10+ min

Une France qui consomme plus que ce qu’elle ne produit

En 2016, la France produisait 12 000 tonnes de moutarde. Suite au gel tardif et aussi à l’interdiction des pesticides, elle n’a produit que 4 000 tonnes de moutarde en 2021, soit 3 fois moins qu'en 2016. La France peine donc à s’approvisionner, d’autant plus que les Français consomment chaque année 32 000 tonnes, soit beaucoup plus que la production nationale. Et oui, entre les Français et la moutarde, c’est une grande histoire d’amour !

Pour compenser ce déficit, la solution est d’importer des graines. Le premier producteur mondial de graines de moutarde est le Canada. Il fournit 80% des graines que la France importe. Mais ce dernier a connu une sécheresse intense en 2021 faisant ainsi fondre sa production, passant de 135 000 tonnes en 2022 à 50 000 tonnes deux ans plus tard. Cette baisse de production pousse les autorités à limiter les exportations du Canada vers la France.

On pourrait penser que le fameux pot de “moutarde de Dijon”, comme son nom l’indique, provient de graines françaises. En réalité, l’appellation “moutarde de Dijon” n’est absolument pas protégée (AOP ou IGP) ; seule la composition de sa recette est contrôlée. N’importe quel pays peut en effet produire de la moutarde sous ce nom, à condition de respecter un décret qui requiert d’avoir au minimum 28% d’extrait sec (graines noires ou brunes, sel et épices) et au maximum 2% de téguments, c’est-à-dire les résidus de l'enveloppe de la graine.

Par ailleurs, le contexte géopolitique favorise la pénurie. En effet, la guerre en Ukraine affecte l’exportation de graines de moutarde. La Russie, qui est le troisième producteur mondial de graines de moutarde, connaît un embargo commercial. Cette sanction consiste à restreindre ou empêcher certaines importations et/ou exportations de la Russie afin d’exercer une pression économique pour la contraindre à respecter ses engagements internationaux. De son côté, l’Ukraine, qui est le quatrième producteur mondial, a pratiquement arrêté l’intégralité de ses exportations de graines suite à la guerre. Or, selon Le point, l’Ukraine aurait été en capacité de fournir la quantité de graines nécessaire à la France.

Un dôme de chaleur au Canada qui cause la perte des graines

Revenons plus en détail sur la sécheresse que connait le Canada. En juin 2021, le nord-ouest des États-Unis et l’ouest du Canada ont connu un dôme de chaleur provoquant des températures extrêmes et inédites allant jusqu’à 49,6°C à Lytton. Cela a non seulement causé une diminution de moitié de la production canadienne, mais aussi des incendies gigantesques rayant de la carte le village de Lytton.

Un dôme de chaleur est système fermé de haute pression sous lequel se crée une zone stationnaire de forte chaleur. Les fortes chaleurs sont dues à l’air piégé à l’intérieur du dôme qui redescend et se comprime de plus en plus, créant ainsi une augmentation de la température. Qu’il soit causé par la pression atmosphérique ou par la hausse des températures de l’océan, ce phénomène se multiplie avec le réchauffement climatique.

Ces fortes chaleurs influent sur la production des graines, bien qu’elles aient besoin d’ensoleillement pour se développer correctement. En effet, la moutarde apprécie les climats tempérés voire frais. En hiver, les pieds de moutarde peuvent supporter des températures allant jusqu’à -10°C. Néanmoins, avec le réchauffement climatique, les hivers sont de moins en moins froids et deviennent plus favorables au développement des insectes. Or, les pieds de moutarde attirent beaucoup les insectes. Et depuis 2019, suite à une loi pour la transition écologique votée en 2015, les agriculteurs ont l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires qui protégeaient la plante des parasites.

De plus, les températures idéales de germination sont de l’ordre de 15 à 20°C sachant que les semis de moutarde peuvent s’étaler de mars à mai ou d’août à septembre. Si ces températures sont dépassées, la plante ne germera pas et par conséquent ne produira aucune graine. Cultiver des surfaces de moutarde devient alors compliqué et risqué pour les producteurs français.

Par conséquent, la baisse de production au Canada due au dôme de chaleur et le contexte géopolitique engendrent une pénurie et une hausse des prix. Selon l'institut d'études spécialisé dans les études de marché IRI, le prix de la graine aurait été multiplié par 5 entre avril 2021 et avril 2022 provoquant ainsi une hausse de 9% du prix de la moutarde conditionnée sur la même période. Ce contexte actuel incite peu les producteurs français à cultiver des surfaces de moutarde.

La pénurie de moutarde est donc loin de s’arrêter…

Caricature soulignant la pénurie de moutarde lié à la secheresse la guerre et la canicule et représentant l'envie de moutarde fine de dijon

Comment faire une mayonnaise sans moutarde ?