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Mesure standard de la pluie

HD Sciences n°16
November 27, 2023
3-5 min

HD Sciences 16 : mesure standard de la pluie

Dans ce nouvel article de HD Sciences, nous allons évoquer les instruments permettant de mesurer la pluie, en nous concentrant dans un premier temps sur les méthodes que l’on pourrait qualifier de traditionnelles, c’est-à-dire les pluviomètres et les radars. Bien documentés et complémentaires, ces deux types d’instruments ont permis depuis des dizaines d’années des mesures fiables des précipitations. Mais avant d’en venir à l’explication de leur fonctionnement, nous allons revenir sur le concept de mesurer la pluie qui n’est pas forcément si naturellement compréhensible qu’il n’y paraît.

Mesurer la pluie : c’est-à-dire ?

Lors du dernier épisode Méditérannéen, ou plus récemment lors des incessantes pluies qui ont touché le Pas de Calais, vous avez peut-être lu ou entendu des phrases telles que “l’intensité de la pluie est montée jusqu’à 150mm/h !”, ou bien : “il est tombé 210mm d’eau, l’équivalent de 3 mois de précipitations”.

Il s'agit d'une capture d'une recherche google.

Il y a manifestement là deux grandeurs, exprimées dans deux unités différentes : les mm/h (intensité de pluie), et les mm (cumul). Que représentent-elles ?

Commençons par une petite illustration. Vous avez installé dans votre jardin pour des visées estivales divertissantes une petite piscine ayant une surface au sol de 3 mètres carrés. Hélas, il pleut. Profitant de l’occasion pour parfaire votre culture météorologique, vous revenez 30 minutes plus tard et constatez que votre piscine a collecté 9L d’eau. Vous avez mesuré la pluie ! Vous pouvez en conclure :

  • que vous avez mesuré un cumul de pluie de 9 litres sur 3 mètres carrés de surface. Cette averse a donc donné un cumul de 3 litres par mètre carré, que l’on peut aussi écrire 3mm (nous verrons les détails plus bas).
  • que l’intensité de pluie moyenne sur les 30 min de l’averse a été de : 6mm/h (s’il avait continué de pleuvoir ainsi pendant 1h, vous auriez au final mesuré 6mm).

Le mm/h est donc l’unité utilisée pour mesurer l’intensité de pluie.

Formellement, on peut définir une intensité de pluie comme un débit (un flux) d’eau par unité de surface (cela vous semblera naturel si par hasard vous aimez vous représenter la pluie comme une sorte de rivière coulant verticalement). Cela correspond donc au volume d’eau (en mètres cubes) qui passe à travers une surface de un mètre carré, en une unité de temps (une seconde). Si la surface en questions, c’est le sol (a priori vous êtes plutôt intéressés par l’intensité de pluie au niveau du sol), on peut aussi voir cela comme la hauteur d’eau (en mètres) qui tombe sur le sol en une unité de temps (une seconde).

Cette unité (mètres cubes par seconde et par mètre carré) n’est cependant pas adaptée telle qu’elle. En effet une pluie très forte produira un débit surfacique autour de 0.000028 m3/m2/s (ou 0.000028 mètre d’eau au sol par seconde). Mais on peut rapporter cela à la quantité d’eau par heure et en millimètres plutôt qu’en mètres : cela donne alors 100mm/h, valeur plus classique !

Attention ! L’intensité de pluie est une grandeur instantanée, le fait qu’il y ait une “heure” dans son unité ne signifie nullement qu’elle doit être calculée sur une heure de temps, on pourrait tout aussi bien l’exprimer en millimètres par minute par exemple (en divisant par 60). L’intensité peut être par exemple de 60mm/h entre 00h00 et 00h05, puis de 30mm/h entre 00h05 et 00h10.

Le mm est l’unité utilisée pour exprimer un cumul de pluie. Il s’agit cette fois-ci d’un volume d’eau rapporté à une unité de surface (formellement en mètres cubes par mètre carré), qui correspond de la même manière si cette surface est le sol à une hauteur d’eau tombée au sol (en mètres, ou en millimètres).

Il s’agit cette fois d’une grandeur accumulée. En reprenant l’exemple précédent, si l’intensité est de 60mm/h entre 00h00 et 00h05, cela signifie que sur ces 5 minutes de temps, il tombe 5mm de pluie. En effet, 60mm/h correspond à 1mm/min, accumulé pendant 5 minutes cela fait 5mm.

On peut faire quelques calculs amusants. En France il tombe en moyenne autour de 900mm d’eau par an (avec une forte variabilité, de 500mm dans les zones les plus sèches, dans les Bouches du Rhône notamment, à plus de 2000mm sur les montagnes). En multipliant par la superficie du pays, on déduit qu’il tombe environ 500 milliards de mètres cubes de pluie par an, soit environ 7 millions de litres par personne (13 litres par personne et par heure !).

Mais il s’agit à présent de mesurer ces quantités, chose là aussi moins aisée qu’il n’y paraît.

Les instruments de mesure

Le pluviomètre manuel

Un pluviomètre manuel (voir photo ci-dessous issue du catalogue de Natures et Découvertes) n’est rien de plus qu’une piscine graduée en millimètres.

Il s'agit de la representation en image d'un pluviomètre.
Pluviomètre manuel (source Natures et Découvertes)

Il faut noter que formellement, il mesure un cumul, pas une intensité. On déduit une intensité moyenne en divisant le cumul par la durée, mais on ne sait rien de la variabilité de l’intensité par exemple pendant les 30min de pluie évoqués plus haut dans l’expérience de la piscine. Pour ne pas devoir venir relever les volumes collectés toutes les minutes, il convient d’automatiser quelque peu le processus.

Le pluviomètre automatique

Concept

La majorité des pluviomètres non manuels sont dits à augets basculants. Leur principe de fonctionnement est relativement simple. L’eau est collectée sur une certaine surface, puis dirigée vers un petit réservoir, fixé sur un auget basculant. Lorsque l’eau contenue dans le réservoir dépasse une certaine masse, celui-ci bascule et l’eau tombe alors dans un second auget. En notant les dates de basculement, on connaît la quantité d’eau tombée entre deux dates successives. En divisant par la durée entre ces deux dates et par la surface de collecte, on estime la masse d’eau tombée par unité de temps et de surface, et on remonte au taux de pluie en divisant par la masse volumique de l’eau.

Il s'agit d'une photo d'un pluviomètre automatique
Pluviomètre automatique de Météo Suisse (modèle marque OTT). Source : Météo Suisse.

Les organismes météorologiques nationaux comme Météo France maintiennent un important réseau de tels pluviomètres (voir carte de Météo France ci-dessous), preuve de l’intérêt et de l’utilité de ces instruments.

Il s'agit d'une carte de France
Pluviomètres Météo France opérationnels sur le territoire métropolitain (en rouge ceux avec le plus long historique). Source : Météo France.

Intérêt et limites

Le gros avantage des pluviomètres (que l’on verra mieux en le comparant aux radars qui vont suivre) c’est qu’il s’agit d’une mesure quasiment directe de la pluie : l’instrument mesure des dates de bascule qui correspondent assez directement à des volumes d’eau tombés. Les erreurs pour passer de la mesure brute au cumul de pluie sont donc assez limitées.

Malheureusement, plusieurs problèmes persistent : d’abord la résolution intrinsèque de l’instrument. Supposons qu’une bascule d’auget corresponde à un cumul de pluie de 0.2mm.

Supposons maintenant qu’il tombe une pluie d’intensité constante à 1mm/h. 1mm/h implique un cumul de 0.2mm toutes les 12 minutes. L’auget va donc basculer toutes les 12 minutes.

Si l’on estime maintenant à partir des dates de bascules des intensités de pluie à résolution 5 minutes (une valeur pour chaque tranche de 5 minutes), les intensités de pluie mesurées par l’istrument devraient ressembler à cela :

  • 00h05 : 0mm/h (0.08mm tombés : pas de bascule)
  • 00h10 : 0mm/h (0.16mm tombés : pas de bascule)
  • 00h15 : 2.4mm/h (0.24mm tombés : 1 bascule. Or une bascule correspond à 0.2mm. Et 0.2mm sur 5 minutes implique 2.4mm/h)
  • 00h20 : 0mm/h

(…)

Il convient donc de manipuler avec précaution les mesures à haute résolution temporelle issues de pluviomètres , surtout quand il pleut peu.

D’autres difficultés peuvent être signalées : le fait en particulier qu’il s’agisse d’une mesure ponctuelle, alors que la pluie peut être fortement variable sur de courtes distances. Savoir qu’il est tombé 20mm en un point ne dit pas forcément grand chose (par exemple lors d’un orage) de ce qui est tombé 5 ou 10km plus loin. Il faut un réseau dense de pluviomètres pour correctement couvrir une zone, ce qui peut vite devenir cher.

Il faut aussi faire attention à leur emplacement : près de bâtiments ou sous des arbres, la pluie peut être affectée par la présence de ces structures. Enfin ces instruments peuvent se boucher, il faut donc prévoir une maintenance régulière, et les coûts associés.

Le Radar

L’autre grand moyen conventionnel de mesure de la pluie, c’est le radar, dont voici une photo lui rendant bien sa majesté (instrument de Météo France à Bollène) :

Il s'agit d'ue photographie d'un radar.
Radar Météo France de Bollène. Source : Météo France.

Les radars peuvent aussi évoquer, au choix, les dépassements de vitesse routière, ou les détections d’avions. Le principe est le même. Le radar envoie un signal (une onde électromagnétique) dans l’air. Si cette onde rencontre une cible (votre voiture, un avion, une goutte de pluie), une partie de l’onde est renvoyée à l’émetteur (au radar) par la cible, et l’émetteur reçoit un signal en retour. En analysant ce signal, on en déduit des propriété sur la cible : la vitesse de votre voiture, la position de l’avion, la quantité de pluie.

Concept

Voyons cela un peu plus en détails pour ce qui est de la pluie, grâce à une petite figure (source : https://www.theses.fr/2016SACLV046) :

Il s'agit d'un graphique

En haut sur le premier graphe, vous avez la puissance émise par le radar en fonction du temps. On voit que le radar émet un signal (une pulsation) au début, pendant une durée courte. Puis il cesse d’émettre pendant une (plus longue) durée, avant d’émettre une nouvelle pulsation.

Au début de la période donc, un signal a été émis dans l’atmosphère, dans une direction donnée. Ce signal commence à avancer. À un certain point, il rencontre une zone de pluie. Une partie du signal émis va rencontrer ces gouttes, tandis qu’une autre partie va passer entre et poursuivre son chemin. Le signal ayant rencontré les gouttes va (en partie) être diffusé par elles, c’est-à-dire renvoyé dans toutes les directions (selon la théorie de Mie dont les équations peuvent être analysées ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_Mie). Une partie du signal va donc être renvoyée vers le radar, et lui revenir. On parle de rétrodiffusion.

Le deuxième graphe représente la puissance du signal que le radar récupère (ce qui lui est renvoyé). Il ne récupère pas un pic, car il y a toute une zone de pluie : une partie du signal a été arrêtée dès le début et a donc mis assez peu de temps pour faire l’aller-retour (il revient mettons à la date t1), tandis qu’une autre partie a réussi à aller plus loin avant d’être rétrodiffusé par les gouttes et revient donc plus tard, à la date t2. On récupère donc une distribution de puissance selon le temps mis pour faire l’aller-retour.

Mais, point fondamental, on connaît la vitesse du signal : c’est la vitesse de la lumière (300 000 km/s). Donc au lieu de représenter la distribution de signal rétrodiffusé en fonction du temps, on peut la représenter en fonction de la distance, et en groupant la distribution par classe de distance : c’est ce qui est présenté sur le troisième graphe. Indirectement, ce graphe représente la quantité de pluie présente dans la direction de visée en fonction de la distance au radar. La conversion de la puissance récupérée vers l’intensité de pluie se fait par des relations estimées depuis plusieurs décennies dans la littérature scientifique (voir détails ici par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Décibel_Z).

Reste ensuite au radar à tourner ! En effet, on a vu ici comment estimer la quantité de pluie présente selon la distance dans une direction donnée, mais si on veut une carte de pluie, il s’agit de répéter cela dans toutes les directions. Le radar effectue donc une rotation, et émet une nouvelle pulsation. Lorsqu’il a fait un tour complet, il a scanné toutes les directions et une carte peut être produite, comme ci-dessous au Texas et en Louisiane par le service météorologique américain (NOAA) le 29 août 2005 lors du passage de Katrina.

Image radar mesurée autour de la Nouvelle Orléans au passage de l’ouragan Katrina. Source : NOAA

Pour aller un peu plus loin

Plusieurs hypothèses simplificatrices ont été faites ici. Dans les faits, le radar fait plusieurs tours avant de produire une carte, en émettant à des angles d’élévation différents (de plus en plus haut dans le ciel), cela notamment afin de prendre en compte la variabilité verticale de la pluie, et d’éviter des reliefs ou des obstacles (la Tour Eiffel) qui pourraient bloquer le signal dans une direction précise.

Aussi, un radar n’émet pas toujours des pulsations, mais peut notamment pour consommer moins d’énergie émettre en continu en modulant la fréquence d’émission (afin de pouvoir malgré tout trier les signaux retour).

Enfin, on peut noter que les propriétés de rétrodiffusion de la pluie (à quel point le signal est affecté et renvoyé au radar par les gouttes) dépendent de beaucoup de paramètres, notamment le diamètre des gouttes et la fréquence du signal. Les radars opérationnels travaillent le plus souvent dans la gamme des microondes, typiquement entre 3 et 10GHz. Plus on augmente la fréquence, plus la rétrodiffusion est forte. Si elle est trop forte, le signal est entièrement arrêté par la pluie proche du radar et l’instrument devient aveugle au-delà d’une certaines distance. Ainsi, les radars de Météo France émettent à plus basse fréquence autour de la Méditerranée que dans le reste de la France, afin de ne pas être coupés par les fortes pluies automnales.

Intérêt et limites

L’avantage principal des radars réside dans le fait qu’il s’agit d’un instrument qui fournit naturellement des cartes de pluie. Sa mesure n’est pas ponctuelle, il mesure directement la pluie partout autour de lui, et sa portée peut être assez grande (autour de 100km pour les radars opérationnels).

En revanche, des limites peuvent être remarquées. D’abord il s’agit d’une mesure indirecte : la mesure brute du radar consiste en des puissances rétrodiffusées de signaux microondes. Le travail pour arriver à une carte de pluie est grand !

Ensuite il s’agit d’un système complexe et coûteux, qui n’est pas disponible partout. Il faut aussi penser ce coût en terme d’installation et de montage, de traitement des données (besoin d’expertise) et de maintenance, et prendre en compte les risques en cas de problème (disponibilité des pièces, des personnes capables de réparer, du fait qu’une panne de l’instrument coupe tout le système de mesure).

Enfin, la mesure est plus complexe (voire impossible) dans les zones très montagneuses, où le signal sera coupé par les reliefs, sauf à viser extrêmement haut dans le ciel, mais où la pluie n’est pas représentative (par exemple parce qu’il peut neiger et non pleuvoir).

Dans un prochain article, nous verrons l’intérêt qui existe à compléter ces réseaux de mesures traditionnels par des mesures dites opportunistes, dans la mesure où elles tirent parti d’instruments ou de signaux existant mais non utilisés actuellement pour la mesure opérationnelle de la pluie.